Actualité
The Farmer Case : un paysan défie un géant des énergies fossiles
"Otage" de l'Office des étrangers - Une mère séparée de ses deux enfants
Lettre ouverte : pourquoi les Delhaiziens peuvent et doivent gagner
Grève au dépôt Delhaize - Droits des grévistes
La Belgique à nouveau condamnée pour avoir détenu des enfants migrants
PROGRESS Lawyers Network condamne la tentative d'intimidation de l'avocat des droits humains Donzinger
Mexique : les avocat.e.s du réseau Progress Lawyers Network expriment leur indignation face à l'assassinat de Simón Pedro
Cour européenne des droits de l'Homme: condamnation de la Turquie et demande de libération du député kurde Selahattin Dermitas
Reprise du procès de l'affaire Mawda le 10 décembre 2020
La Belgique condamnée pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme lors de l’expulsion d’un ressortissant soudanais
PROGRESS Lawyers Network lance une FAQ Corona@Work
Les avocats français en grève !
communique-de-presse-avocats-turcs
Victoire : On n'enferme pas un enfant. Point.
Assassinat de Ben Ramos et menaces sur Katherine Panguban, avocats au service des luttes du peuple philippin
Le droit de grève est un droit fondamental
Réarrestation de la famille serbe : un nouveau traumatisme inutile pour les enfants
Famille en centre fermé : Qui abuse des procédures?
Victoire contre le service communautaire
Condamnation de la France pour un tir mortel lors d'une course poursuite
Victoire contre les fonds vautours!
Une enfant est morte
En Turquie, la législation nationale est de plus en plus utilisée pour étouffer les voix dissidentes.
Selahettin Dermitas est un homme politique kurde de premier plan en Turquie. Il est le coprésident du HDP et est député. Il a été arrêté le 4 novembre 2016.
Le 22 décembre 2020, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a fermement condamné la Turquie pour la détention de Selahattin Dermitas et a ordonné sa libération immédiate.
Dans cet arrêt très longuement motivé, la Cour rappelle l’importance de la liberté d’expression, particulièrement pour des élus de l’opposition, elle insiste sur le caractère fondamental du droit à la liberté et sur le caractère restrictif de ses exceptions et elle considère la détention du requérant comme une atteinte au pluralisme et à des élections libres.
Résumé de l'arrêt par l'avocate Selma Benkhelifa
AFFAIRE SELAHATTÄ°N DEMÄ°RTAÅž c. TURQUIE (No 2)
- Les faits
Selahettin Dermitas est un homme politique kurde de premier plan. Il est le coprésident du HDP et est député.
Son arrestation et sa détention sont résumées par la Cour comme suit :
Le 4 novembre 2016, il a été arrêté et placé en garde à vue. Le même jour, le juge de paix de Diyarbakır a ordonné sa mise en détention provisoire. Durant la procédure pénale menée d’abord à Diyarbakır et ensuite à Ankara, les cours d’assises compétentes ont continué à prolonger la détention provisoire (…), jusqu’au 2 septembre 2019. Par ailleurs, par un arrêt du 7 septembre 2018 la cour d’assises d’Istanbul a condamné Selahettin Dermitas à une peine de quatre ans et huit mois d’emprisonnement pour propagande en faveur d’une organisation terroriste mais elle n’a pas ordonné sa privation de liberté. À la suite de l’arrêt rendu le 4 décembre 2018 par la cour d’appel d’Istanbul, la condamnation est devenue définitive. En conséquence, l’exécution de la peine de quatre ans et huit mois d’emprisonnement a commencé le 7 décembre 2018. Dans ce contexte, la Cour observe qu’à partir du 7 décembre 2018 le requérant a été privé de sa liberté dans le cadre de deux procédures pénales distinctes.[1]
Les procédures à l’encontre de Selahettin Dermitas concernent des accusations d’appartenance à une organisation terroriste, il a été placé et maintenu en détention provisoire pour des infractions liées au terrorisme, en particulier celles prévues par l’article 314 §§ 1 et 2 du CP, à savoir la fondation ou la direction d’une organisation terroriste armée et l’appartenance à une telle organisation, accusations uniquement basées sur des discours et des tweets. [2]
La Commissaire aux droits de l’homme Dunja Mijatović est intervenue à la cause, ainsi que l’Union interparlementaire (« UIP ») et les ONG Article 19 et Human Rights Watch.
Les ONG ont rappelé que la détention de Selahattin Dermitas était loin d’être un cas isolé.
Les ONG intervenantes indiquent que, depuis la tentative de coup d’État militaire du 15 juillet 2016, 1 482 membres du HDP, dont plusieurs députés, ont été mis en détention provisoire. Elles soutiennent qu’une grande partie des personnes concernées ont été privées de leur liberté pour avoir fait des discours à caractère politique. Insistant sur l’importance du débat public dans une société démocratique, elles critiquent l’usage de mesures qui aboutissent à priver arbitrairement de leur liberté les députés du HDP.[3]
Madame Dunja Mijatović a quant à elle souligné le contexte de répression généralisée des opposants.
La Commissaire aux droits de l’homme considère que la détention du requérant s’inscrit dans un contexte général de répression à l’encontre de différents groupes qui critiquent la politique officielle en Turquie. Elle expose que de nombreux députés du HDP ont fait l’objet de poursuites judiciaires et d’une détention provisoire sur la base d’accusations liées au terrorisme, après avoir légitimement exercé leur droit à la liberté d’expression.[4]
Dans ce contexte, la Commissaire aux droits de l’homme signale qu’il est de plus en plus fréquent en Turquie que les éléments de preuve utilisés pour justifier les détentions se limitent exclusivement à des déclarations et à des actes qui sont manifestement non violents et qui devraient a priori être protégés par l’article 10 de la Convention. Elle considère cette situation comme une omission systématique des parquets et tribunaux turcs de procéder à une analyse contextuelle appropriée et de filtrer les éléments de preuve à la lumière de la jurisprudence bien établie de la Cour concernant l’article 10 de la Convention.[5]
La Commissaire aux droits de l’homme décèle un problème plus général dans les décisions des juges de paix relatives au placement et au maintien en détention provisoire. Elle soutient que ces décisions sont souvent dépourvues de référence à des éléments de preuve crédibles propres à établir l’existence de soupçons raisonnables et qu’elles justifient fréquemment les détentions en citant des déclarations et des actes qui sont clairement non violents.[6]
- La décision de la Grande Chambre.
La Cour a condamné la Turquie pour plusieurs violations de la Convention.
- La violation du droit à la liberté d’expression.
Tout d’abord la Cour s’est penchée sur les allégations de violation du droit à la liberté d’expression.
La Cour a commencé par rappeler qu’elle a constamment souligné dans sa jurisprudence l’importance de la liberté d’expression des parlementaires, vecteurs par excellence du discours politique[7] et qu’il ne fait aucun doute que tout propos tenu par un député appelle un haut degré de protection (Karácsony et autres, précité, § 138). La règle de l’immunité parlementaire, en particulier, atteste ce haut degré de protection, dans la mesure notamment où elle tend à protéger l’opposition parlementaire. La Cour estime important de protéger la minorité parlementaire de tout abus de la majorité (ibidem, § 147).[8]
La liberté d’expression n’étant pas absolue, la Cour s’est ensuite penchée sur les propos attribués à Selahattin Dermitas pour examiner si ceux-ci entrait dans le cadre de la liberté d’expression d’un élu ou était constitutif d’une infraction.
Le Gouvernement turc affirmait que dans les discours incriminés le requérant a défendu l’auto-gouvernance, qu’il a qualifié les actes terroristes prétendument commis par les membres du PKK de « guerre d’autodéfense » légitime et d’actes de « résistance », et qu’il a critiqué les opérations menées par les forces de sécurité en les taxant de « massacres », (…) et que l’intéressé a fait l’apologie du chef du PKK et qu’il a appelé la population à descendre dans la rue.[9]
Monsieur Dermitas ne contestait pas ces propos, mais soutenait que ce sont des discours similaires qu’il a fait à l’Assemblée nationale et qu’en conséquence les discours incriminés étaient protégés par le premier paragraphe de l’article 83 de la Constitution turque qui prévoit l’immunité parlementaire.
Cependant la Turquie avait modifié l’article 83 de la Constitution précisément pour pouvoir condamner les propos choquants l’opinion publique tenus par certains députés.
A ce sujet, la Cour a considéré qu’il s’agissait en l’espèce d’une modification ad hoc, ponctuelle et ad hominem sans précédent dans la tradition constitutionnelle turque. Il ressort de la motivation de la modification constitutionnelle que celle-ci visait expressément certaines déclarations spécifiques de députés, surtout ceux de l’opposition.
La cour a rappelé que les lois visant uniquement des individus donnés sont contraires à l’état de droit (Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 117, 23 juin 2016).[10]
Une atteinte à la liberté d’expression protégée par l’article 10 CEDH doit être prévue par la loi, ce qui implique le caractère de prévisibilité des conséquences que pourraient avoir certains discours. En modifiant sa Constitution dans l’unique but de poursuivre Monsieur Demirtas et d’autres députés kurdes, la Turquie a violé l’article 10 CEDH.
La Cour rappelle enfin qu’elle a récemment estimé, dans deux arrêts contre la Turquie, que le fait de formuler des critiques contre les gouvernements et le fait de diffuser des informations qui sont considérées comme dangereuses pour les intérêts nationaux par les leaders et dirigeants d’un pays ne doivent pas aboutir à la formulation d’accusations pénales particulièrement graves comme l’appartenance ou l’assistance à une organisation terroriste armée, la tentative de renversement du gouvernement ou de l’ordre constitutionnel ou la propagande en faveur du terrorisme. De plus, même dans les cas où il existe des accusations de cette gravité, la détention provisoire devrait être utilisée uniquement de manière exceptionnelle, en dernier ressort, quand les autres mesures ne suffisent pas à garantir véritablement la bonne conduite de la procédure (Mehmet Hasan Altan, précité, § 211, et Åžahin Alpay, précité, § 181).[11]
En résumé quant à la violation du droit à la liberté d’expression, la Cour a rappelé son importance particulière pour les parlementaires, raison pour laquelle l’immunité parlementaire est prévue. Elle a ensuite critiqué un changement dans le régime des immunités parlementaires prévu uniquement dans le but de poursuivre les députés de l’opposition. Elle a enfin rappelé qu’on ne peut absolument pas qualifier de terroriste les critiques formulées à l’encontre du gouvernement ou des dirigeants d’un pays.
L’utilisation de la qualification de terroriste pour détenir des opposants est une constante en Turquie et l’arrêt de Grande Chambre est le troisième arrêt dans lequel la Cour demande à la Turquie de cesser cette pratique contraire à la Convention.
- La violation du droit à la liberté.
Monsieur Dermitas est détenu depuis 2016.
- Violation de l’article 5§1 CEDH
Tout d’abord la Cour est revenue sur les principes et l’importance fondamentale du droit à la liberté et de la protection contre les privations de liberté arbitraires.
L’article 5 de la Convention garantit un droit de très grande importance dans « une société démocratique » au sens de la Convention, à savoir le droit fondamental à la liberté et à la sûreté (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 169, CEDH 2004‑II). Avec les articles 2, 3 et 4, l’article 5 de la Convention figure parmi les principales dispositions garantissant les droits fondamentaux qui protègent la sécurité physique des personnes, et en tant que tel, il revêt une importance primordiale (Buzadji, précité, § 84). Il a essentiellement pour but de protéger l’individu contre une privation de liberté arbitraire ou injustifiée (IlaÅŸcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 461, CEDH 2004-VII).[12]
La Cour indique ensuite que pour arrêter une personne il faut des raisons plausibles de soupçonner une infraction, comme stipulé à l’article 5§1 c).
La « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder l’arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c). L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction qui lui est reprochée. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 32, série A no 182, O’Hara c. Royaume-Uni, no 37555/97, § 34, CEDH 2001‑X, Çiçek c. Turquie (déc.), no 72774/10, § 62, 3 mars 2015, Mehmet Hasan Altan, précité, § 124, et Åžahin Alpay, précité, § 103).[13]
Après avoir examiné le cas d’espèce, la Cour a constaté qu’aucun fait ni aucune information spécifiques de nature à faire naître des soupçons justifiant la mise en détention du requérant n’ont été exposés ou présentés durant la procédure initiale, qui s’est pourtant soldée par l’adoption de cette mesure privative de liberté à l’encontre de l’intéressé. En conséquence, elle estime que, au moment du placement en détention provisoire du requérant, il n’existait aucun fait ni aucun renseignement propres à convaincre un observateur objectif que l’intéressé avait commis les infractions reprochées.[14]
La Cour est ensuite revenue sur les discours reprochés à Monsieur Dermirtas, notamment son discours du 21 avril 2013, où il a exprimé son opinion sur le mouvement kurde. À cette occasion, il a d’abord indiqué que ce mouvement avait considéré la guerre comme une guerre d’autodéfense légitime. Puis il a dit qu’il était mal d’utiliser des armes dans la mesure où il était possible de résister et de réussir avec des méthodes non violentes. Il a ajouté que sans le mouvement du PKK il n’y aurait pas de peuple kurde en Turquie. Les propos du requérant montrent qu’il estimait que le peuple kurde en Turquie devait son existence, en partie, à la lutte armée menée par cette organisation terroriste. Le commentaire en question peut se comprendre comme une description des faits historiques liés à la question kurde en Turquie, telle qu’interprétée par l’intéressé. Il est vrai que dans son discours le requérant a parlé du « coup de 1984 » et de la « résistance à Åžemdinli [et] à Eruh » comme d’actes ayant créé la réalité du peuple kurde. En fait, comme le suggère le procureur de la République (paragraphe 79 ci-dessus), il n’est pas déraisonnable de dire que le requérant a qualifié les premières attaques terroristes du PKK de « coup de 1984 » et de « résistance à Åžemdinli [et] à Eruh ». La Cour estime cependant qu’il faut également replacer ce discours dans le contexte général du « processus de résolution », pendant lequel la société turque a débattu de manière ouverte de l’origine de la question kurde. Pour la Cour, les propos litigieux relèvent d’une évaluation faite par l’intéressé des affrontements armés survenus en Turquie plutôt que d’une incitation à la violence et de l’apologie du terrorisme. Dans l’ensemble, ils ne sauraient passer pour susceptibles d’inciter à la poursuite de la violence ou d’aggraver la situation en matière de sécurité dans telle ou telle région de Turquie.[15]
La Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 1 de la Convention à raison de l’absence de raisons plausibles de soupçonner le requérant d’avoir commis une infraction.
- Violation de l’article 5§3 CEDH
Le §3 de l’article 5 prévoit quant à lui que la personne détenue sur base du §1 c) doit être traduite en justice dans les plus brefs délais.
La Cour a rappelé que la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne détenue d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention (Merabishvili, précité, § 222, avec les références qui y sont citées). En l’absence de telles raisons, la Cour estime qu’il y a également eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.[16]
- Violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.
Selahettin Dermitas a dénoncé sa détention provisoire comme une mesure politique visant en réalité à l’empêcher d’exercer son mandat de député.
La Cour a examiné l’impact de cette ingérence – la privation de liberté – sur l’exercice du mandat politique pour lequel Monsieur Dermitas a été élu.
La Cour estime que la privation de liberté est une ingérence si grave dans l’exercice des droits fondamentaux qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 143, CEDH 2012).
Ces considérations valent a fortiori pour la détention d’un député. Dans une démocratie, le parlement est une tribune indispensable au débat politique, dont l’exercice du mandat parlementaire fait partie. Pendant l’exercice de son mandat, un député représente les électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts.[17]
Dans le cas d’espèce, la Cour rappelle que l’immunité parlementaire n’est pas un privilège accordé aux parlementaires à titre individuel, mais un privilège attribué au parlement, en tant qu’institution, pour garantir son bon fonctionnement. (…) Dans ce contexte, si un État prévoit l’immunité parlementaire contre les poursuites pénales et les privations de liberté, les juridictions nationales doivent tout d’abord veiller à ce que le député concerné ne bénéficie pas de l’immunité parlementaire pour les actes incriminés.
Or, les juridictions turques n’ont pas examiné si les discours reprochés à Monsieur Dermirtas étaient protégés par le premier paragraphe de l’article 83 de la Constitution turque.[18]
La Cour conclut donc que, même si le requérant a pu conserver son statut de parlementaire tout au long de son mandat, l’impossibilité pratique pour lui de participer aux activités de l’Assemblée nationale en raison de sa détention provisoire constitue une atteinte injustifiée à la libre expression de l’opinion du peuple et au droit de l’intéressé d’être élu et d’exercer son mandat parlementaire. En conséquence, la Cour conclut que la détention provisoire du requérant était incompatible avec la substance même du droit d’être élu et d’exercer son mandat parlementaire découlant de l’article 3 du Protocole no 1.
Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.[19]
- Violation article 18 CEDH
L’article 18 de la Convention prévoit que les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues.
Monsieur Dermitas invoquait que les poursuites à son encontre et sa détention étaient des atteintes à ses droits fondamentaux, dans l’unique but de faire taire une voix d’opposition. Ce qui n’est manifestement pas une restriction prévue par la Convention.
Dans le même sens, la Commissaire aux droits de l’homme indique que le maintien du droit à la liberté d’expression est actuellement d’autant plus difficile qu’il existe en Turquie une érosion marquée de l’indépendance et de l’impartialité du pouvoir judiciaire. À cet égard, elle signale que de nombreuses actions pénales restreignent d’une manière indue la liberté d’expression et le droit à la liberté et à la sécurité non seulement des députés mais aussi des maires, des universitaires, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme qui critiquent la politique officielle, notamment sur la situation dans le sud-est de la Turquie. Elle estime que les lois et les procédures pénales sont actuellement utilisées pour faire taire les voix dissidentes.[20]
La Cour constate également que plusieurs dirigeants et maires élus du HDP ont également été placés en détention provisoire. Bien que la Cour n’ait pas accès à la teneur des procédures pénales contre ces personnes, elle relève que, selon plusieurs rapports et avis d’observateurs internationaux, la raison principale des mesures privatives de liberté subies par lesdites personnes réside dans leurs discours politiques. Dans ce contexte, la Cour accorde un poids considérable aux constats des tiers intervenants, et plus particulièrement à ceux de la Commissaire aux droits de l’homme, qui souligne que la législation nationale est de plus en plus utilisée pour étouffer les voix dissidentes. La Cour estime donc que les décisions relatives au placement et au maintien en détention provisoire du requérant ne sont pas un cas isolé. Au contraire, elles semblent suivre une certaine constante.[21]
La Cour en conclut qu’il est établi au-delà de tout doute raisonnable que la privation de liberté subie par le requérant, notamment pendant deux campagnes critiques, celles du référendum et de l’élection présidentielle, poursuivait un but inavoué, à savoir celui d’étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique.[22]
Il y a eu violation de l’article 18 de la Convention combiné avec l’article 5, puisque la privation de liberté servait en réalité un but politique et pas un des buts légitimes prévus par la Convention.
Enfin sur base de l’article 46 § 1 de la Convention qui oblige les Etats à se conformer aux arrêts de la Cour, la Cour demande à la Turquie d’assurer la libération immédiate de Selahettin Dermitas.
[1] §291
[2] paragraphes 143, 146 et 274
[3] §308
[4] §235
[5] §279
[6] §307
[7] §242
[8] §244
[9] §261
[10] §269
[11] §276
[12] §311
[13] §314
[14] §331
[15] §334
[16] §355
[17] §393
[18] §394
[19] § 397 et 398
[20] §418
[21] §428
[22] §437